Le nouveau Code des sociétés et des associations (CSA) requiert, entre autres, une adaptation des dispositions du Code des Impôts sur les Revenus (CIR) en lien avec ce code. En effet, le législateur souhaite assurer la neutralité du nouveau code sur le plan fiscal. Pour ce faire, un certain nombre de dispositions fiscales doivent être revues de manière approfondie afin d’éviter les discordances entre les deux branches du droit.
Le CIR sera donc adapté afin de tenir compte de l’introduction de la théorie du siège statutaire dans le droit des sociétés et de la suppression de la notion de capital social, et de nouvelles possibilités seront prévues lors de la transformation des sociétés et du déplacement du siège social.
- Dualité de critères de rattachement en droit des sociétés (siège statutaire) et en droit fiscal (siège réel)
Les règles de constitution, de fonctionnement et de dissolution d’une société dépendent de la détermination du « droit des sociétés applicable à cette entité » (c’est-à-dire « la lex societatis »). Il existe deux grandes écoles en matière de définition du critère de rattachement à la lex societatis, à savoir la théorie du siège statutaire et la théorie du siège réel.
La théorie du siège statutaire rattache une société au droit de l’État dans lequel se situe son siège statutaire, soit à l’adresse du siège de la personne morale telle que mentionnée dans les statuts et repris dans un registre public de cet État. Contrairement à la théorie du siège réel, selon laquelle une société doit être rattachée au droit de l’État dans lequel se situe son siège réel.
- Situation actuelle
Le Code des sociétés retient comme critère de résidence d’une société le lieu de son « siège réel », avec présomption réfragable que le siège réel se trouve au siège statutaire.
Le même critère (« siège réel ») s’applique également sur le plan fiscal.
- Modification en droit des sociétés
Une des modifications majeures apportée par le projet de CSA est l’abandon de la théorie du siège réel comme critère de rattachement d’une société à la lex societatis, au profit du siège statutaire.
- Incidence fiscale
Au niveau fiscal, on maintiendra le critère du siège réel pour déterminer si une société est résidente fiscale belge (soumise donc à l’impôt des sociétés en Belgique).
Afin d’assurer une neutralité de la modification du critère de rattachement prévu en droit des sociétés, le législateur prévoit de modifier l’article 2 du CIR 92 comme suit : « la société qui a son siège statutaire en Belgique est présumée sauf preuve contraire y avoir son principal établissement, (…). La preuve contraire est admise uniquement s’il est démontré en outre que le domicile fiscal de la société est établi dans un autre État que la Belgique en vertu de la législation fiscale de cet autre État ».
La modification du droit des sociétés rompt l’actuelle identité de fait entre la nationalité d’une société et sa résidence fiscale. On ne peut donc plus présupposer qu’une société assujettie à l’impôt des sociétés belge est nécessairement soumise au droit belge des sociétés puisque l’impôt des sociétés maintient la théorie du siège réel. Par conséquent, si une société a son siège réel en Belgique mais son siège statutaire dans un État étranger, elle sera assujettie à l’impôt des sociétés belge mais régie par le droit des sociétés de cet État étranger.
Pour tenir compte de cette discordance possible entre la « nationalité » de la société et sa résidence fiscale, l’adaptation prévue de l’article 2 du CIR 92 stipulera que la société qui a son siège statutaire en Belgique est présumée avoir également son siège réel en Belgique. Cette présomption sera réfragable afin d’éviter que la réforme du droit des sociétés n’engendre une « double non-résidence » fiscale.
- La notion de capital
Un autre changement fondamental introduit par le nouveau CSA est que seules les sociétés ayant la forme d’une société anonyme disposeront encore d’un capital tel que nous le connaissons actuellement.
Étant donné le nombre de renvois aux articles du Code des sociétés existant actuellement dans notre CIR, et le nombre de références à la notion de capital souscrit, le projet de loi du 22 novembre 2018 a dû apporter toute une série de modifications au CIR.
Le nouveau CSA va par ailleurs rendre possible pour certaines formes juridiques de sociétés le fait d’effectuer des apports en industrie, rémunérés par des actions ou parts de sociétés. Étant donné la volonté du législateur de faire en sorte d’assurer une neutralité aussi complète que possible de ces modifications au niveau fiscal, le CIR sera également adapté en conséquence.
- Apports en industrie
L’apport en industrie est une forme d’apport à une société. Il peut s’agir de consacrer son activité et ses connaissances aux affaires de la société. Cela correspond donc à un engagement d’exécuter telle ou telle tâche (manuelle ou intellectuelle), un travail déterminé ou des prestations de services dans le futur, ou encore de faire apport de son nom, par exemple.
Actuellement, ce type d’apport est possible, mais ne peut, en SPRL, être rémunéré par des titres ; dans les SA, il ne peut être rémunéré par des titres représentatifs du capital (des parts bénéficiaires sont possibles).
Selon le projet de CSA, dans les Sociétés à Responsabilité Limitée (SRL) et les Sociétés Coopératives (SC), un apport en industrie pourra être effectué et rémunéré par des actions ; tout comme dans le cas d’un apport en nature actuellement, un réviseur effectuera un contrôle sur cet apport. À l’évidence, rendre possible ce type d’apport pose d’ores et déjà la question de savoir comment déterminer la valeur de ce qui est apporté.
- Notion de capital
Une des grandes caractéristiques du CSA est que la notion de capital social va disparaître, sauf pour les sociétés anonymes. Pour toutes les autres formes de sociétés, on va réfléchir en terme de « patrimoine » de la société.
Dans notre code fiscal, pour les SA, la notion de capital social sera « simplement » remplacée par celle de capital, mais cette notion sera toujours identique à celle prévue par le CSA. Pour les SRL (et autres formes de sociétés), qui n’auront plus de capital en tant que tel, la notion fiscale de capital sera définie comme les capitaux propres formés par les apports en numéraire et en nature, à l’exclusion des apports en industrie. À nouveau, il est question ici de faire en sorte que l’introduction de la possibilité d’opérer des apports en industrie rémunérés par des titres pour les SRL soit neutre au niveau du CIR, en conservant la même définition de ce que l’on entend par capital au niveau fiscal.
Pour les SRL, ce capital pourra être qualifié de capital libéré au sens fiscal si les capitaux propres en question sont comptabilisés à un compte distinct du passif (même s’il n’y aura plus d’indisponibilité statutaire en tant que telle).
La notion de capital libéré reste donc bien la même, à savoir les apports réellement libérés en numéraire ou en nature, autres qu’en industrie. On continuera également à inclure les primes d’émission (dans les mêmes conditions que précédemment).
- Distribution de dividendes
La question de savoir comment seront traités les revenus distribués en rémunération des apports en industrie se pose. Les dividendes rémunérant des titres représentatifs d’apports en industrie pourraient être considérés comme des dividendes ordinaires (art. 18 CIR), c.-à-d. des revenus mobiliers soumis au précompte mobilier, mais il ne peut être exclu qu’ils soient considérés comme des revenus professionnels, car ils sont liés à une activité professionnelle (art. 30 et 32 CIR).
Ces apports ne donneront en toute hypothèse pas droit au taux réduit dit « VVPR bis », puisqu’il ne s’agit pas d’apports en espèces.
Une autre nouveauté est que ce taux réduit de précompte mobilier sur dividendes ne sera plus soumis à la condition selon laquelle « les sociétés sans capital social minimum sont exclues du bénéfice de la disposition, sauf si, après l’apport en nouveau capital, le capital social de cette société est au moins égal au capital social minimum d’une SPRL » (art. 269 §2 CIR). Cela permettra aux SRL, notamment, de pouvoir en bénéficier (le capital doit toutefois encore être entièrement libéré).
- Rachat d’actions propres
Actuellement, il peut être procédé à un rachat d’actions propres à hauteur d’un maximum de 20% des parts représentant le capital social (au-delà, une réduction de capital et/ou annulation des actions est nécessaire). D’un point de vue fiscal, le rachat doit respecter les mêmes règles.
Ce seuil de 20% sera supprimé dans le CSA, mais introduit dans le CIR expressément, afin de maintenir un régime identique à ce que nous connaissons. Si ce seuil est dépassé, les actions dépassant ce seuil seront réputées détruites, avec les conséquences fiscales liées à cette destruction (distribution d’un boni d’acquisition assimilé à un dividende, avec application éventuelle du précompte mobilier).
Les actions excédant le seuil de 20% continueront à apparaître au bilan, mais seront censées avoir une valeur nulle du point de vue fiscal.
- Nouvelles possibilités lors de la transformation des sociétés
Le projet de loi apporte des modifications au CIR afin de tenir compte des nouvelles possibilités prévues par le CSA lors de la transformation des sociétés.
- Transformation d’une société en une ASBL
Nous pensons par exemple à la transformation d’une société en une ASBL ou d’une société belge en une société étrangère. Dans ce dernier cas, la réorganisation peut aller de pair avec la déplacement du siège à l’étranger. C’est ce que l’on appelle une « émigration pertinente au niveau fiscal » : le siège réel peut être différent du siège statutaire/social.
Bien que le projet de loi n’apporte pas de modifications substantielles aux dispositions fiscales, il a pour objectif d’harmoniser les formulations et la terminologie utilisées dans le CIR et celles du nouveau CSA.
- Changement de forme juridique : en principe un acte neutre sur le plan fiscal
Le principe selon lequel le changement de forme juridique est un acte neutre sur le plan fiscal est conservé. Cela signifie que cette opération est exonérée pour autant que la transformation ne donne pas lieu à une perte de la personnalité juridique et qu’elle soit effectuée conformément au droit des personnes morales, qui régit les transformations de sociétés. Il va donc de soi que la transformation d’une SA en une SRL (successeur de la SPRL) ne sera pas imposée.
- Changement de forme juridique et émigration
Si, par contre, le changement de forme juridique est accompagné de l’émigration de la société et que cette dernière n’est donc plus assujettie à l’impôt des sociétés belge, cette situation sera en principe considérée sur le plan fiscal comme constituant une liquidation. Le projet de loi n’apporte bien entendu aucun changement à ce niveau.
- Assujettissement à l’impôt des personnes morales
Le changement de forme juridique peut également avoir pour conséquence qu’une personne morale soit assujettie à l’impôt des personnes morales et plus à l’impôt des sociétés. Ce sera par exemple le cas si une société est transformée en une ASBL ou une fondation dont les activités sont fortement limitées. L’ASBL ou la fondation sera alors soumise à l’impôt des personnes morales suite à la modification de ses activités.
Une nouvelle disposition sera introduite dans le CIR afin de prévoir expressément l’application des règles fiscales prévues dans le cadre d’une liquidation dans le cas où la société ne serait plus assujettie à l’impôt des sociétés, mais à l’impôt des personnes morales. Ce changement constitue en effet une étape imposable à l’impôt des sociétés (l’impôt des personnes morales prévoyant une base imposable plus limitée et d’autres taux que ceux de l’impôt des sociétés). Mais ceci n’est pas nouveau. Toutefois, il est désormais possible de reporter le paiement de l’impôt issu de ce changement (c.-à-d. de payer de manière étalée en 5 tranches annuelles), et ce selon les modalités applicables en cas d’émigration de sociétés.