La donation de son patrimoine mobilier à son conjoint accompagné d’une clause de fidecommis est-elle abusive?
Les différents codes de droits de succession (la matière est régionalisée) comportent désormais des dispositions anti-abus.
N’est pas opposable à l’Administration un acte juridique (ou l’ensemble d’actes juridiques réalisant une même opération) lorsque l’Administration démontre un abus fiscal.
Il y a abus fiscal lorsque le redevable réalise, par l’acte juridique ou l’ensemble d’actes juridiques qu’il a posé, l’une des opérations suivantes :
– une opération par laquelle il se place, en violation des objectifs de la loi, en dehors du champ d’application de cette dernière ;
– une opération par laquelle il prétend à un avantage fiscal, dont l’octroi serait contraire aux objectifs de la loi et dont le but essentiel est l’obtention de cet avantage.
Il appartient au redevable de prouver que le choix de cet acte juridique ou de cet ensemble d’actes juridiques se justifie par d’autres motifs que la volonté d’éviter l’impôt.
Lorsque le redevable ne fournit pas la preuve contraire, l’opération est soumise à un prélèvement conforme à l’objectif de la loi, comme si l’abus n’avait pas eu lieu.
La Cour d’appel de Gand a rappelé récemment les conditions d’application d’une telle mesure[1] dans un litige où des contribuables mariés sous le régime légal de la communauté de biens, sans enfants, avaient procédé à une donation des biens de la communauté au profit des patrimoines propres du conjoint survivant[2].
Une donation de la nue-propriété de ce patrimoine avait été réalisée en parallèle par le biais d’une clause de fidéicommis – qui permet de désigner un bénéficiaire subsidiaire à la donation.
L’opération fut enregistrée et les droits de donation payés.
Au décès du donateur et de son épouse, le bénéficiaire de la clause de fidéicommis devient définitivement propriétaire du patrimoine reçu.
VLABEL a estimé que l’opération ne lui était pas opposable, l’opération n’ayant comme objectif que l’évitement des droits de succession.
Le notaire instrumentant a répliqué que l’intention des parties était d’attribuer certains biens à leurs neveux et nièces de leur vivant, tout en protégeant le conjoint survivant.
Pour résoudre ce litige, la cour d’appel a rappelé les principes dégagés par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 30 octobre 2013[3], à la lecture du principe d’égalité, afin d’examiner les conditions d’application de l’abus fiscal.
Il ressort de la définition de l’abus fiscal que « l’opération doit être exclusivement motivée par le souci d’éviter l’impôt ou l’être d’une manière à ce point essentielle que les éventuels autres objectifs de l’opération doivent être considérés comme négligeables ou purement artificiels, non seulement sur le plan économique, mais aussi eu égard à d’autres considérations pertinentes, notamment personnelles ou familiales ».
Le législateur a prévu à cet effet « un système de preuve et de preuve contraire ».
Ce système implique que la charge de la preuve initiale incombe à l’Administration : elle doit d’abord démontrer « que l’acte juridique ou l’ensemble d’actes juridiques réalisant une même opération choisie par le contribuable est en contradiction avec les objectifs d’une disposition fiscale clairement identifiée ». Et que l’opération doit avoir « pour motif déterminant, sinon exclusif, d’éviter l’impôt ».
L’Administration ne peut constater la contrariété de l’opération « aux objectifs de la disposition fiscale concernée que lorsque ces objectifs ressortent de manière suffisamment claire du texte et, le cas échéant, des travaux préparatoires de la disposition législative applicable ».
Dans le cadre de son analyse, la cour d’appel s’est posé la question de savoir si les opérations litigieuses étaient contraires aux objectifs d’une disposition fiscale clairement identifiée.
Lorsque VLABEL prétend que les opérations en cause font échec à la progressivité de l’impôt sur les successions, elle doit démontrer que ces opérations sont contraires aux objectifs poursuivis et non simplement étrangères à ceux-ci.
Les circonstances invoquées par l’administration fiscale comme étant à l’origine du soupçon d’abus fiscal (le court laps de temps entre les transactions et le décès, le fait que les transactions ont été effectuées exclusivement au profit des biens de l’assuré, le fait que la même sécurité aurait pu être obtenue autrement) ne sont pas pertinentes à cet égard.
Selon la cour, l’Administration ne démontre pas que donner des biens de son vivant à son conjoint est contraire aux objectifs de la loi.
Au contraire, en prévoyant que les donations ne sont plus soumises aux droits de succession après trois ans, le législateur accepte ces opérations.
En permettant la donation à des taux inférieurs aux droits de succession, le législateur autorise encore ce type d’opérations dans le cadre du choix licite de la voie la moins imposée.
La Cour d’appel de Gand conclut que la donation d’un bien mobilier après une sortie de celui-ci de la communauté n’est pas constitutif d’un abus fiscal.
Avocat spécialisé en droit fiscal
Cet article a été publié dans le Bulletin Juridique et Social
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[1] Art. 3.17.0.0.2 VCF.
[2] Gand, 27 avril 2021, rôle n° 2020/AR/791.
[3] CC, 30 octobre 2013, n° 114/2013.