L’article 344§1er du C.I.R. 1992 permet de rendre inopposables à l’administration certaines opérations ou constructions juridiques constitutives d’un abus fiscal.
Pour qu’une opération soient constitutive d’un abus fiscal, l’administration doit prouver que
- L’acte ou au moins l’un des actes est entièrement artificiel ;
- L’opération a pour but essentiel d’obtenir un avantage fiscal en vertu d’une disposition du Codes des impôts sur les revenus ou de ses arrêtés d’exécution ;
- L’obtention de cet avantage est contraire aux objectifs de la disposition en cause ;
Il n’est pas toujours aisé de déterminer si une opération est constitutive d’un abus fiscal. Un montage juridique déterminé peut ou ne pas être un abus fiscal en fonction des circonstances. Il faut donc examiner le contexte dans lequel l’opération est effectuée.
Un jugement récent[1] illustre cette notion. Le litige porte sur la problématique suivante : la vente d’action suivie d’une fusion simplifiée est-elle constitutive d’un abus fiscal ?
Les demandeurs sont actionnaires pour moitié chacun de deux sociétés. Ils décident de vendre les actions de la première à la deuxième. Suite à la vente de ces actions, la fusion des deux sociétés est prévue. L’ensemble du patrimoine actif et passif de la première société est donc transféré à la seconde.
Selon les demandeurs, cette opération se justifie afin d’aboutir à une seule société et d’ainsi économiser les frais de gestion des deux sociétés.
L’administration considère toutefois que l’objectif poursuivi n’est pas celui avancé. L’opération envisagée dans son ensemble aurait pour but essentiel d’obtenir un avantage fiscal contraire aux objectifs des articles 17§ 1, 1° et 18, 1° C.I.R. 1992[2].
Selon l’administration, la vente des actions aurait du entrainer une attribution de dividendes taxables au taux de 30% à l’impôt des personnes physiques dans le chef des demandeurs.
En l’espèce, toutefois cette attribution n’a pas eu lieu suite à une compensation des comptes courant créditeurs et débiteurs au seins des sociétés.
Préalablement à la vente des actions et à la fusion, les demandeurs disposaient d’un compte courant débiteur envers la première société. Ils étaient donc redevables d’un montant important envers la société dont les actions ont été vendues.
La seconde société quant à elle ne disposait pas de la capacité financière nécessaire afin de rembourser la valeur des actions aux vendeurs, à court ou moyen terme. L’achat des actions a donc créé une dette en compte courant vis-à-vis de ses administrateurs.
Les demandeurs estiment qu’à supposer que l’objectif de l’opération soit la compensation des comptes-courants, il ne serait pas de nature fiscale. La disparition d’une dette n’ayant pas pour effet d’obtenir une économie de charge fiscale.
L’abus fiscal visé par l’article 344§1er du C.I.R. 1992 suppose que les parties aient la volonté d’obtenir un avantage fiscal. Or, la compensation s’opère par l’effet de la loi.
Dans la mesure où la compensation des comptes créditeurs a pour effet d’anéantir la dette des demandeurs mais également leur créance envers la société, aucun avantage ne leur a été attribué.
Partant, ils considèrent que l’opération effectuée est hors champ du droit fiscal et donc de l’article 344§1er du C.I.R. 1992 de sorte qu’elle est opposable à l’administration.
Le Tribunal va toutefois suivre la position de l’administration compte tenu des circonstances propres de l’’espèce.
Il considère que la vente des actions intervenue avant la fusion silencieuse est un préalable purement artificiel en ce qu’il ne s’explique que par la volonté des parties de compenser les comptes courants et partant, d’effacer leur dette envers la première société.
Le Tribunal ne retient pas l’objectif avancé par les demandeurs, à savoir la rationalisation des frais de gestion des deux sociétés. Un tel objectif aurait pu être atteint en procédant à une fusion simple des sociétés.
Dans cette hypothèse, il aurait été question d’un apport des parts et non d’une vente. Les réserves de la première société auraient toutefois été intégrées au passif de la seconde société et la dette en compte courant des actionnaires n’aurait pas été effacée.
Selon le Tribunal, l’administration a donc démontré que la volonté des actionnaires à travers la construction juridique était uniquement de se voir allouer une somme d’argent correspondant aux réserves distribuables au titre de dividendes de la première société, en exemption d’impôt.
Le Tribunal conclu que l’opération constitue un abus fiscal et partant, l’opération de vente effectuée est inopposable à l’administration.
Il ressort des paragraphes précédents qu’une vente d’action suivie d’une fusion ne constitue pas nécessairement un abus fiscal. L’analyse de cette opération par l’administration et le Tribunal aurait sans doute été différente en l’absence d’un compte courant débiteur des actionnaires ou si la société absorbante disposait de la capacité financière de rembourser le prix des actions, à court ou moyen terme.
En l’espèce, l’abus fiscal de l’opération a été retenu en raison de la compensation des comptes courants débiteurs et créditeurs.
Cette position nous semble particulièrement stricte dans la mesure où la compensation des comptes pourrait également être interprétée comme n’étant qu’une conséquence de l’opération et non l’objectif principal poursuivit.
En effet, il est admis que la procédure d’une fusion ordinaire est plus compliquée qu’en présence d’une fusion silencieuse. Or, cette dernière n’est possible que si la société absorbante détient toutes les actions de l’autre société, partant la vente des actions se justifie en pratique.
[1] Civ. Liège, (div. Liège), 22 novembre 2022, n° 20/4653/A.
[2] Article 17 §1, 1° : « Les revenus des capitaux et biens mobiliers sont tous les produits d’avoir mobiliers engagés à quelque titre que ce soit, à savoir : 1° les dividendes (…) »
Article 18, 1° : « Les dividendes comprennent : tous les avantages attribués par une société aux actions, parts et parts bénéficiaires, quelle que soit leur dénomination, obtenus à quelque titre et sous quelque forme que ce soit (…) ».