Moratoire hivernal – Le Code Bruxellois du logement est contraire au droit de propriété reconnu par la constitution belge!
Notre cabinet d’avocats est fier d’annoncer une décision judiciaire significative obtenue récemment devant la Justice de paix du premier canton de Bruxelles dans un dossier où un locataire demandait la suspension d’une mesure d’expulsion en raison du moratoire hivernal inscrit dans le code bruxellois du logement.
Dans un jugement rendu le 6 mars 2024[1], le tribunal a exclu l’application du moratoire hivernal inscrit à l’article 233duodecies §1 du Code Bruxellois du Logement[2], soulignant l’importance de respecter la hiérarchie des normes, notamment les droits constitutionnels et européens liés à la propriété.
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motivation du juge de paix :
« Le Tribunal estime constater qu’en l’espèce, l’article du Code bruxellois du logement mentionné, n’est pas conforme à l’article 16 de la Constitution belge, ni à l’article 1 du premier Protocol de la Convention Européenne des Droits de l’homme qui contiennent des dispositions prévoyant et instaurant une protection du droit de la propriété et du droit au respect des biens ont les justiciables peuvent se prévaloir.
Rappelant sa tache de veiller au respect de la hiérarchie des normes le tribunal décide d’écarter l’application de l’article du Code bruxellois du logement en question et par conséquent, de faire droit à la demande qui tend à entendre le tribunal autoriser les parties demanderesses à expulser ou a faire expulser les parties défenderesses des lieux loués (3). »
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Fondement Juridique du Jugement
La Justice de paix a rappelé que l’article 16 de la Constitution belge[3] et l’article 1er du Protocole additionnel à la Convention Européenne des Droits de l’Homme[4] garantissent la protection du droit de propriété et interdisent toute privation de ce droit sans une cause d’utilité publique et une juste indemnité préalable.
L’interdiction générale d’expulsion durant la période hivernale, sans considération pour la situation spécifique des propriétaires, a été jugée comme une atteinte disproportionnée à ce droit fondamental.
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Réserves Émises par le Conseil d’État
Il convient de noter que la section de législation du Conseil d’État[5] avait déjà exprimé des réserves importantes concernant l’introduction de cet article dans le Code Bruxellois du Logement.
Le Conseil d’État avait souligné que cette interdiction constituait une ingérence excessive dans le droit de propriété des bailleurs, rompant ainsi l’équilibre nécessaire entre les intérêts des locataires et des propriétaires.
Selon leur avis, l’article 233undecies §1 alinéa 2 3° du Code Bruxellois du Logement offrait déjà des garanties suffisantes pour protéger les locataires en difficulté en permettant au juge d’étendre le délai d’expulsion en cas de circonstances particulièrement graves.
« 5.5.2. Compte tenu de la possibilité pour le locataire ou l’occupant de demander au juge de prolonger le délai d’expulsion en raison de circonstances particulièrement graves, conformément à l’article 233undecies, § 1 er, alinéa 2, 3°, en projet, du Code bruxellois du Logement, il est douteux que l’interdiction des expulsions prévue par l’article 233duodecies en projet puisse être considérée comme proportionnée par rapport à l’objectif poursuivi par les auteurs de l’avant-projet, à savoir la concrétisation du droit au logement.
En effet, cette possibilité permet déjà au juge de tenir compte des « possibilités de reloger le preneur dans des conditions suffisantes respectant l’unité, les ressources financières et les besoins de la famille ». Il n’est dès lors pas nécessaire de prévoir une interdiction des expulsions pendant l’hiver afin d’« éviter des situations contraires à la dignité humaine lorsqu’aucune solution de relogement n’a pu être trouvée », comme l’indique l’exposé des motifs.
Le régime prévu à l’article 233undecies, § 1er, alinéa 2, 3°, en projet suffit déjà cet effet. Par ailleurs, le moratoire hivernal ne permet pas au juge de prendre en compte l’intérêt des deux parties pour déterminer le délai d’expulsion, ce qui est par contre le cas lorsque le locataire ou l’occupant demande une prolongation du délai d’expulsion.
Par conséquent, il semble que l’équilibre entre les intérêts du preneur et ceux du bailleur ne soit pas garanti. »
Ainsi, la section de législation du Conseil d’Etat a conclu ce qu’il suit :
« 5.5.4. Force est de conclure que, dans la mesure où l’article 233duodecies en projet prévoit une interdiction des expulsions au cours de la période comprise entre le 1er novembre et le 15 mars de l’année suivante, le régime en projet ne ménage pas un juste équilibre entre, d’une part, les intérêts du locataire d’un bien immeuble dont l’expulsion est suspendu et, d’autre part, les intérêts du propriétaire-bailleur, de sorte que cette mesure constitue une restriction excessive au droit au respect des biens du second. »
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Confirmation par la Justice de Paix d’Uccle
Cette position a, d’ailleurs, été confirmée par la Justice de paix d’Uccle[6] dans un jugement du 13.09.2023, qui a également dérogé au moratoire hivernal, estimant que le régime en question n’assurait pas un équilibre juste entre les parties.
Le juge a souligné que l’application stricte du moratoire hivernal, même en cas de non-respect flagrant et récurrent des obligations locatives, portait une atteinte excessive au droit de propriété des bailleurs :
« L’article 11 de la Constitution stipule que la jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination.
La section législation du Conseil d’État, dans son avis sur le projet d’ordonnance insérant dans le Code Bruxellois du Logement les règles de procédure applicables aux expulsions judiciaires et modifiant les moyens affectés par et au profit du Fonds budgétaire de solidarité, a clairement énoncé :
‘Dans la mesure où il interdit temporairement l’expulsion d’un locataire qui ne remplit pas ses obligations, le régime en projet constitue une ingérence dans le droit de propriété du bailleur. Une telle ingérence dans le droit de propriété doit réaliser un juste équilibre entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la protection du droit au respect des biens.
Il faut qu’existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. Dans la mesure où le régime en projet rend temporairement impossible l’exécution d’un jugement d’expulsion, il implique également une restriction du droit d’accès au juge. En effet, ce droit comprend également le droit d’exécuter des décisions judiciaires définitives.’
(…)
‘Force est de conclure que, dans la mesure où l’article 233duodecies en projet prévoit une interdiction des expulsions au cours de la période comprise entre le 1er novembre et le 15 mars de l’année suivante, le régime en projet ne ménage pas un juste équilibre entre, d’une part, les intérêts du locataire d’un bien immeuble dont l’expulsion est suspendue et, d’autre part, les intérêts de propriétaire-bailleur, de sorte que cette mesure constitue une restriction excessive et au respect des biens du second.’
(….)
En ne permettant pas d’expulsion entre le 1er novembre et le 15 mars de l’année suivante, même dans le cas où certains contrats de bail ont correctement pris fin, conformément aux règles édictées par le C.B.L., ou suite à des accords transactionnels conclu entre les parties permettant l’expulsion, ou suite à un non-respect flagrant, récurrent et soutenu de son obligation de paiement de loyers, la non-conclusion d’une assurance couvrant sa responsabilité, etc., le législateur Bruxellois rompt le juste équilibre entre les intérêts des parties concernées.
Le Juge de Paix estime, dans ces conditions, que, dans ce cas spécifique, il peut déroger au moratoire hivernal et permet l’expulsion durant cette période. »
Dans ce cadre, les juges de paix d’Uccle et de Molenbeek-Saint-Jean ont saisi la Cour constitutionnelle[7] en soulevant des questions préjudicielles concernant la compatibilité de l’article 233duodecies du Code Bruxellois du Logement avec les articles 10, 11 et 16 de la Constitution (expropriation), en lien avec l’article 1er du Premier protocole à la Convention européenne des droits de l’homme (droit au respect des biens).
La Cour devrait se prononcer sur cette question dans le courant de l’année 2025.
Affaire à suivre….
Nous saluons ces décisions qui réaffirment l’importance de protéger les droits de propriété tout en respectant les principes de proportionnalité et de justice.
Notre cabinet reste à votre disposition pour toute question ou assistance juridique concernant les droits locatifs et les expulsions
[1] J.P Bruxelles (1er canton), 6.03.2024, RG : 23A5769/1
[2] Disponible sur : https://etaamb.openjustice.be/fr/ordonnance-du-22-juin-2023_n2023043965
[3] https://www.senate.be/doc/const_fr.html#t1
[4] https://www.cncdh.fr/sites/default/files/2022-02/cedh_0_1.pdf
[5] Avis du 1er février 2023, n°72.557/3, Doc. Parl. R.B.C., sess. 2022-2023, Doc. A-680/1, pp. 34 et s. : disponible sur : https://www.snpc-nems.be/assets/documents/Avis-72.557-3-du-Conseil-d’Etat-sur-l’avant-projet-d’ordonnance.pdf
[6] J.P. Uccle, 13.09.2023, RG 23A1081.
[7] https://www.const-court.be/fr/judgments/pending-cases