La Cour d’appel de Liège jette un nouveau pavé dans la « mare des droits d’auteur »
Dans un surprenant arrêt du 8 mars 2023 elle refuse le régime fiscal des droits d’auteurs à un architecte sur base de la disposition anti-abus de droit contenue à l’article 344 §1er du CIR 92.
Pour rappel, l’article 17, §1er, 5°, du C.I.R. 92 précise que les revenus tirés de la cession ou de la concession de droits d’auteur constituent des revenus mobiliers.
Ces revenus sont présumés de manière irréfragable être imposables au titre de revenu mobilier.
Ces droits d’auteurs sont taxés de manière favorable en comparaison du taux de l’ipp lorsqu’ils ne dépassent pas un certain plafond.
Si l’administration considère que des revenus déclarés au titre de revenus mobiliers car provenant de la concession de droits d’auteur ne proviennent pas d’une telle concession mais constituent un revenu professionnel – et qu’elle entend taxer ces revenus au titre de rémunération de dirigeant d’entreprise sur base de l’article 32 du C.I.R. 92-, c’est sur elle que repose la charge de cette preuve.
Dans le dossier soumis à l’appréciation de la Cour d’appel de Liège, un contribuable exerçant la profession d’architecte avait cédé à sa société d’exploitation des droits d’auteurs pour un montant de 58.720 euros (montant maximal autorisé au cours de l’exercice d’imposition concerné).
Il ne percevait cependant que 14.309,98 euros de revenus de dirigeant d’entreprise.
Cette situation économique semble avoir « chagriné » l’administration fiscale ainsi que la Cour d’appel de Liège.
Dans son arrêt, la cour reconnait tout d’abord aux architectes des droits patrimoniaux sur une œuvre protégée au sens de la législation relative aux droits d’auteurs.
Elle reconnait également l’exploitation de cette œuvre protégée par la concession à une société d’exploitation.
Il s’agit du volet positif de cet arrêt qui rejette à ce sujet une argumentation trop souvent opposée par l’administration dans ce type de dossier.
La Cour d’appel examine ensuite s’il n’existerait pas un abus de droit en vertu de l’article 344 §1er du CIR 92.
Pour rappel un acte juridique n’est pas opposable à l’administration en cas d’abus fiscal, c.-à-d. lorsqu’un contribuable réalise une opération par laquelle qu’il se place en violation des objectifs de la loi fiscale
En l’espèce La Cour d’appel de Liège fait un surprenant raccourci entre l’exposé des motifs de la Loi qui a adopté le régime des droits d’auteurs et le libellé de cette dernière.
L’arrêt commenté, rappelle que les travaux préparatoires de la loi du 16 juillet 2008 organisant une fiscalité forfaitaire des droits d’auteur nous informent, entre autres, que le législateur entend protéger les artistes dont le statut serait précaire et instaurer une fiscalité plus conforme à la capacité contributive des artistes et créateurs, eu égard à la spécificité de leur activité.
La Cour considère que par le contrat de concession de droits d’auteur le contribuable a réalisé une opération par laquelle il prétend à un régime avantageux en contradiction manifeste avec les objectifs de la Loi et serait dès lors constitutif d’un abus fiscal.
La cour semble ainsi limiter le bénéfice des droits d’auteurs aux professions artistiques.
Ce raisonnement nous parait particulièrement dangereux dans la mesure où le texte fiscal adopté est clair et non sujet à interprétation, contrairement à l’exposé des motifs.
Il vise « les revenus qui résultent de la cession ou de la concession de droits d’auteur et de droits voisins, ainsi que des licences légales et obligatoires, visés au livre XI du Code de droit économique ou par des dispositions analogues de droit étranger »
Selon la position de la cour d’appel de Liège, seuls les « artistes » seraient bénéficiaires du régime et que tous les autres contribuables comme les graphistes, informaticiens, architectes n’y auraient pas droit au motif qu’ils ne forment pas le public visé par l’exposé des motifs de la loi de juillet 2008.
Il est pourtant incontestable que ces professions peuvent bénéficier de droits d’auteurs en application de la législation en vigueur et expressément visée par le CIR.
Si l’on peut comprendre que les faits de la cause où un contribuable ne s’est rémunéré quasi exclusivement qu’en droits d’auteurs ait pu conduire à cette surprenante décision.
Sur le plan de la sécurité juridique, la position de la Cour d’appel de Liège est problématique, d’autant que le service des décisions anticipées rend des décisions depuis plus de 15 ans accordant le bénéfice de la fiscalité sur les droits d’auteurs à de très nombreux contribuables qui à proprement parlé ne sont pas de artistes tout en précisant expressément qu’il n’y a pas d’abus fiscal.
Un pourvoi en cassation semble avoir été introduit à l’encontre de cet arrêt.
La Cour de cassation qui vient de casser une décision dans la même veine dans un arrêt où elle reconnait aux avocats le droit de produire des œuvres protégées[1]
Affaire à suivre donc…
[1] Cass., 24 mars 2023 (F.21.0052.N)